Chapitre 4 : GUERRIER !

 Le lendemain, la troupe reprit son chemin vers le nord. Le ciel écrasait la terre ; ils se sentaient des aigrettes au bout des doigts. Les nuages ventre de rat noyé crevèrent soudain en un violent orage. Il eut beau être bref, ils avaient beau tenir pour bagatelle vent, pluie ou tempête, il ne fut pas le bienvenu. Éclairs et tonnerre effrayaient les chevaux, nerveux depuis l’immolation de la rosse. Plusieurs de ceux qui montaient des bêtes, encore mal dressées, du butin, se retrouvèrent dans la boue. On en rit un court instant. Le ciel, pour ne pas faire de jaloux, fit tomber, drus, de lourds grêlons, gros comme le bout du doigt et plus. Ils n’épargnèrent personne, du roi au captif. Les guerriers prirent leurs boucliers en épais cuir de vache pour s’en protéger… Un poing de glace, dur comme pierre, avait assommé l’un d’eux, allant tête nue.


      Arrosés d’abondance et de très mauvais gré, tous saluèrent la fin de la bourrasque avec de grands cris. Les nuages enfuis, le soleil frappa, comme pour se venger, de tout son éclat. Après un bref trajet, ils arrivèrent dans une zone de rochers. Les creux qui les parsemaient étaient secs. Pas une goutte n’y était tombée. La preuve était là : l’orage les avait choisis pour cible. Perkunos, le porteur de foudre, les avait trouvé négligents. Ils lui sacrifieraient au plus tôt.
      Ces pierres brûlantes tombaient à pic. Kleworegs ordonna une halte. Ses hommes se dévêtirent et étendirent leurs fourrures sur les rochers chauffés par l’ardent soleil. Sitôt posées, elles exhalèrent en vapeur toute l’eau dont elles s’étaient gorgées. Les chevaux fumaient eux aussi. Ils seraient vite secs.
      Ils examinèrent les captifs. Bien que sans protection contre l’orage, ils n’avaient pas de blessures. Leurs ecchymoses sur les avant-bras ne méritaient pas ce nom. Elles ne pouvaient leur ôter la moindre valeur. Certains connaîtraient pire, aux mains de mauvais maîtres.

Rassurés sur leur état, les guerriers, nus, revinrent près de leurs vêtements. Debout – ceux qui s’étaient assis sur les pierres surchauffées s’y étaient brûlés –, ils s’étiraient au soleil. Pendant que leurs fourrures séchaient, ils jouèrent des muscles et se montrèrent leurs cicatrices glorieuses. Chacun proposait à l’admiration de ses voisins, de tous s’il les estimait valoir l’admiration générale, les blessures et balafres reçues au combat, se gaussant des moins couturés.
      Kleworegs, au corps à peu près intact, eut une moue navrée. Avec quel mépris, si peu auparavant, ceux qui exhibaient, si fiers, leurs cicatrices avaient-ils moqué la coutume des Muets de se faire des blessures et de les présenter comme preuve de vaillance ! Avec quelle vigueur l’avaient-ils approuvé quand il avait expliqué combien, pour un vrai guerrier, l’important n’est pas celles reçues, mais infligées ! Trois jours avaient passé. Ils l’avaient oublié, et étaient tombés dans le même ridicule.
      Il allait le leur rappeler, et dauber sur leur légèreté. Un autre combattant, lui aussi au corps intact, connu de tous pour sa hardiesse et ses ravages chez les ennemis, le devança. Certains vantards oubliaient les peu glorieuses circonstances de leurs cicatrices (Il ne parlait pas des marques d’épreuves. Un homme d’honneur les ignore.) Il interpella les deux qui riaient le plus fort. Un soir d’ivresse, ils s’étaient blessés l’un l’autre en croyant frapper un ennemi. Plus très fiers, ils se turent. Il se tourna vers un autre groupe.
      Ces guerriers étaient connus pour leur hardiesse, et presque autant pour leur maladresse et leur raideur. La honte les stimula. Ils le prirent de haut. Ils avaient voulu faire sentir aux jeunes, participant à leur premier raid, combien il est digne et glorieux de mépriser la douleur et de se précipiter, malgré les risques, au plus fort du combat. Il était bien bête, ou bien malveillant, s’il ne l’avait compris.
      Ils se calmèrent. Seul un petit malin plaisanta sur la petitesse du sexe du sermonneur. Sa remarque sortait du sujet. Elle tomba à plat. Nul ne se sentait assez belliqueux pour la reprendre ou l’exploiter. Tout se termina en péans à leur gloire.

      Ils reconnaissaient ces bois, ces rivières. Leur village était, à moins d’un quartier, un peu à main gauche du levant en remontant du côté des mousses. Quoiqu’ils n’aient suivi que la voie du butin, ils ne s’étaient guère fourvoyés. Tôt le lendemain, ils croisèrent un petit groupe porteur des insignes des envoyés du conseil royal d’Aryana. Ils échangèrent de longs et cérémonieux saluts. Il écouta ensuite les nouvelles. Il pouvait être fier. Sa troupe était la dernière, là où il régnait, à revenir de campagne.
      La patrouille semblait informée de tous les bruits et autres potins locaux.

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